La justice linguistique pour l’appartenance

Deux personnes ayant une conversation amicale

 L'Institut Tamarack est une organisation caritative canadienne enregistrée qui se consacre à l'élimination définitive de la pauvreté sous toutes ses formes. Nous soutenons de vraies personnes et investissons dans de vraies communautés pour un changement à long terme.


 

Lorsqu’on parle d’appartenance, on pense souvent à un lieu ou à une terre, en l’associant à un environnement spécifique ou à une communauté géographique. Pourtant, le lieu n’est pas le seul élément qui forge l’identité et nourrit notre besoin de se sentir appartenir à une communauté : la langue en est aussi un. 

 

Une histoire linguistique complexe 

Au Canada, nous avons une histoire complexe avec les langues. Avant la colonisation, il existait plus de 70 langues autochtones qui ont été conçues en harmonie avec la terre, la mer et les réalités de leurs locuteur.rice.s. C’est pourquoi on parle de la langue haïda qui a plus de 52 mots qui se traduisent en français par le mot « vague » ou de l’inuktitut qui compte 8 mots pour l’équivalent français « neige ». 

Après la double colonisation par les Français.es, suivie par les Anglais.es, et l’arrivée de populations venues des quatre coins du monde, la diversité linguistique du pays s’est considérablement enrichie. En plus des langues immigrantes introduites par ces Allochtones (c.-à-d., les personnes qui vivent dans un endroit où la langue dominante n’est pas leur langue maternelle, bien que cela ne s’applique jamais aux Premières nations, aux Métis et aux locuteurs de langues indigènes), de nouvelles langues ont émergé, telles que le mitchif, une langue unique qui reflète l’histoire singulière de ses locuteur.rice.s. Parallèlement, des variantes canadiennes de langues existantes se sont développées, comme le gaélique canadien, l’anglais canadien, le français québécois, le chiac, et bien d’autres encore. 

 

Maintenir la diversité linguistique en vie 

Depuis la fondation du pays, des efforts concertés des pouvoirs politiques et sociaux ont été déployés pour écraser cette diversité linguistique. Ces initiatives incluaient des politiques de dé-autochtonisation, telles que les pensionnats autochtones, les rafles des années 1960 ou encore l’exécution de Louis Riel. À cela s’ajoutaient des lois visant à restreindre l’usage du français, comme le Règlement 17 en Ontario, l’Acte d’Union de 1840 à l’échelle fédérale ou encore les débats autour des écoles du Manitoba. Par ailleurs, des préjugés systématiques envers toute langue autre que celle du pouvoir, l’anglais, ont également contribué à l’érosion de cette diversité linguistique, menant progressivement à l’émergence d’un pays de facto anglophone. Aujourd’hui, le Canada se dit un pays bilingue et multiculturel. Cependant, on y observe activement des luttes pour garder certaines langues vivantes, pour restituer d’autres langues et pour accéder aux droits promis dans un pays se disant « bilingue ». 

 

La question linguistique au Canada 

L’importance des langues ne se limite pas à leur rôle d’outils de communication : les langues structurent également notre façon de penser. Elles nous permettent d’inventer, de conceptualiser et de concrétiser nos idées. En offrant des perspectives multiples, elles jouent un rôle clé dans l’innovation sociale et économique, en nous aidant à imaginer et à construire des avenirs diversifiés. Véhicules essentiels de la connaissance, les langues ouvrent la porte à des visions du monde variées et à des façons d’exister distinctes, nous donnant ainsi accès aux savoirs les plus enrichissants pour guider nos décisions. Par ailleurs, nous continuons de découvrir les multiples effets des langues sur nos vies. Une étude récente, par exemple, a mis en lumière une relation surprenante entre la diversité linguistique et la biodiversité, soulignant une concordance remarquable entre ces deux dimensions1. 

C’est là qu’entre la justice linguistique. Les mouvements pour la justice linguistique cherchent à modifier la domination par défaut de la langue anglaise afin d’élargir la participation des locuteur.rice.s non anglophones ou peu anglophones dans tous les domaines de la vie publique. On parle de l’anglais spécifiquement parce qu’en plus d’être véhicule du colonialisme et de l’impérialisme, l’anglais aujourd’hui est devenu un genre de lingua franca non contestée, entraînant ainsi des questions de dominance, d’occidentalisme et de néocolonialisme. La notion a été conceptualisée par April Baker-Bell, autrice de « Linguistic Justice: Black Language, Literacy, Identity, and Pedagogy » pour nommer et démanteler le racisme linguistique anti-noir et la suprématie blanche dans nos langues. Dans un pays « bilingue » et multiculturel, comme le Canada, cette dominance rarement contestée pose encore des menaces plus sévères et immédiates. 

  

Utiliser les langues pour bâtir l’appartenance  

Ceci nous mène à l’importance des langues pour l’appartenance et aux langues comme véhicule d’appartenance. En apprenant la langue du pays hôte, les personnes immigrantes se sentent plus incluses dans leur nouveau pays. En entendant leur langue parlée, les locuteur.rice.s se sentent plus accueilli.e.s dans un lieu donné. En voyant leur langue reflétée dans les services et espaces publics, les individus ressentent un plus grand respect pour leur identité culturelle. Si votre langue n’est pas la langue dominante, c’est une façon de créer des connexions, de réseauter, de créer une communauté. Même des petites interactions et des petits moments peuvent avoir un impact important. 

 

Les communautés non anglophones  

Lorsque j’étais dans un hôtel à Grande Prairie, en Alberta, j’ai entendu deux personnes, un couple, parler français entre eux en attendant l’ascenseur. Je leur ai dit : « Salut! » avant de mettre mes casques pour écouter de la musique et ils m’ont répondu : « Salut? Tu parles français? C’est la première fois que nous entendons quelqu’un parler français depuis que nous sommes arrivés! ». Moi : « Ah oui? Qu’est-ce que vous faites ici? ». Eux : « Nous sommes ici pour visiter notre fils qui a trouvé un emploi ici. Nous étions très inquiets pour lui, mais savoir qu’il y a des francophones ici nous rassure. » 

 En plus de la valeur individuelle d’appartenance et de sécurité, en offrant des espaces où plusieurs langues cohabitent, on favorise des échanges plus équitables et enrichissants. À travers des langues de commerce (les langues pidgins et créoles) qui ont émergé dans une époque avant la dominance de l’anglais, on a trouvé des moyens de communiquer à travers des barrières linguistiques, à travers des cultures, des coutumes, et parfois, même à travers des mots. La justice linguistique, comme toutes les autres justices (sociale, climatique, environnementale, économique…), apporte des bénéfices à tout le monde : les personnes qui parlent les langues non dominantes et les anglophones. La richesse des échanges soutient l’innovation communautaire, le travail collectif, le leadership collaboratif et la co-conceptualisation, des éléments qui avantagent tout le monde. 

 

L’inclusivité linguistique pour l’appartenance 

Notre monde a oublié ce que signifie fonctionner sans langue commune, et les institutions nationales et internationales ont rarement l’habitude de traiter plusieurs langues sur un pied d’égalité dans leurs échanges, privilégiant souvent une langue au détriment des autres. À l’Institut Tamarack, dans le cadre de nos efforts pour élaborer un plan pancanadienne visant à renforcer le sentiment d’appartenance dans les communautés, la question de la langue est incontournable. Nous nous engageons donc à explorer ce que signifie réellement la création d’espaces multilingues, en commençant par le français. Nous avons déjà entamé ce dialogue avec la francophonie canadienne hors Québec et avons hâte de découvrir des approches ciblées pour favoriser l’appartenance à travers la langue.  

On aimerait savoir comment utiliser la langue pour lutter contre la suprématie blanche, le colonialisme et l’impérialisme afin de créer des communautés plus égalitaires où tout le monde se sent à sa place; pour lutter contre la xénophobie et soutenir les personnes immigrantes à trouver une voix dans leur nouveau pays; pour lutter contre la queerphobie et la transphobie à travers le langage inclusif; pour lutter contre l’assimilation des jeunes en leur donnant un sentiment de pouvoir et de fierté; pour lutter contre le sexisme en rendant les femmes et les personnes non mâles aussi visibles dans la langue qu’elles le sont dans la société; pour lutter contre les changements climatiques en capturant les connaissances de la terre intégrées dans des langues. 

 

Comment combattrez-vous l’injustice linguistique? 

À l’Institut Tamarack, notre mission est de résoudre les grands défis communautaires au Canada et à l’international, notamment mettre fin à la pauvreté, bâtir l’avenir des jeunes, approfondir la communauté et lutter contre les changements climatiques. Je suis certain que la question des langues en fait partie. 

Pour conclure, je vous lance le défi suivant : comment pouvez-vous combattre l’injustice linguistique dans vos sphères d’influence? Les actions peuvent être aussi ambitieuses que l’apprentissage d’une nouvelle langue, ou aussi simples que d’afficher le mot « bienvenue » dans les langues parlées dans votre région afin de rendre vos espaces plus inclusifs, et toutes les options qui se situent entre les deux. 

 

Approfondir vos connaissances 



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